Editorial: Eloge du courant d'air
Par:François Niney

Au tournant des années 90, après la chute du mur de Berlin et du rideau de fer, au cours d'une rencontre organisée avec les cinéastes de l'Est enfin libérés de la censure totalitaire, un jeune documentariste hongrois déclara la chose suivante : "On a découvert qu'à la télévision on pouvait savoir tout ce qu'il se passe dans le monde (applaudissements libéraux…), mais des gens, de la vie des gens, on ne sait rien (murmures). Pour comprendre la vie des gens, il faut lire leurs romans ou voir leurs films." On voit bien là, je crois, la différence entre reportage TV (événements) et documentaire d'auteur (la vie des gens).

Le public tunisien ne s'y est pas trompé qui a transformé en vaste succès le coup d'essai du premier DOC A TUNIS en 2006. En cinq jours, ce premier festival consacré au cinéma documentaire international, a rassemblé plus de spectateurs qu'il n'en vient au "Cinéma du Réel" à Paris (qui dure dix jours et existe depuis plus de vingt ans). L'entrée gratuite n'explique sûrement pas tout ! Le public tunisien n'était-il pas plutôt en manque ? Comment interpréter cette mobilisation, à commencer par celle des jeunes, qui a répondu si massivement au pari des organisateurs : ouvrir une fenêtre sur la pluralité des mondes coexistant ou luttant avec ce qu'on appelle la mondialisation, faire passer un courant d'air dans nos têtes et nos frontières, prendre une distance avec les clichés régnants, s'approcher de la vie des autres, envisager de nouveaux partages du monde…La seconde édition de DOC A TUNIS dira s'il s'agissait d'un simple succès de curiosité, d'un engouement pour la nouveauté ou si se confirme un intérêt profond du public tunisien pour ce cinéma du réel exigeant, aussi loin des reportages superficiels ou idéologiques que des romances convenues et autres "success stories". Car le documentaire d'auteur n'informe pas sur "les événements", il ne livre pas les opinions d'une célébrité ou de l'homme de la rue, il ne singe pas non plus les grands sentiments, mais il nous donne à voir notre monde et ceux qui l'habitent, soit du terrain, dans une vision qui nous rend proche ce que nous croyions étranger, soit dans une distance critique, réflexive, qui nous rend étrange nos propres habitudes et questionne les courtes vues qui souvent nous gouvernent. A l'opposé des visions médiatiques qui schématisent, grossissent, reproduisent les représentations officielles ou spectaculaires, rassurantes ou catastrophistes, les documentaristes prennent le temps de leur sujets, d'écouter-voir sur le terrain de quoi il retourne au quotidien, nous