Editorial: Eloge du courant d'air
Par: François Niney

cadrages posés et l'âpre authenticité des répliques des protagonistes, donnant au sort de ces jeunes femmes vendues (pour sauver leur famille de la faim) toute sa dimension révoltante en même temps qu'une dignité tragique bouleversante, évitant ainsi le piège de la fiction romancée (mélo) comme du reportage sur le vif (voyeur).

C'est à un dialogue plus intime avec son amie yéménite "Maalak, et le vaste monde" que nous convie Ahlem Aussant-Leroy. C'est la relation très personnelle entre les deux femmes à travers l'objectif qui crée ici une surface de projection pour leur amitié et les rêves de Maalak, qui lutte de toute sa force juvénile pour échapper aux puissances mortifères de la maladie et de la tradition. Rêve d'étude, d'indépendance, de Canada, de guérison… Le film devient le carré magique où le rêve et les promesses de vie l'emportent imaginairement sur l'adversité alentour. Contre l'interdit des images sacrilèges, chaque image du film, au charme poétique si touchant, signifie l'espoir et figure une planche de salut, embarquant le spectateur à son bord.
Stylistiquement aux antipodes des deux films précédents, c'est à des plans fixes et des longs travellings "objectifs", sans musique ni commentaire, que l'autrichien Nikolaus Geyrhalter a confié le soin de décrire l'univers des industries agro-alimentaires occidental. "Notre pain quotidien" entrelace diverses opérations de mécanisation de la nature et du vivant à l'échelle industrielle (serres géantes, élevages, moissonnages, abattoirs…).Pris entre distanciation quelque peu horrifiée et fascination pour l'ingéniosité des machines, le spectateur découvre, comme dans un film de science-fiction, le mauvais génie machinique de notre culture de masse qui asservit la plante, la bête et le travailleur à sa logique productiviste insensée. Est-ce la seule façon de satisfaire la faim du plus grand nombre ? Dans le traitement de l'animal ou du fruit en chose de laboratoire ne voit-on pas un reflet du traitement que les hommes s'infligent à eux-mêmes ?
En rendant notre regard plus proche ou plus distant, plus critique ou plus compréhensif, le documentaire ne cesse de nous proposer en partage de nouvelles manières de voir. Mais, qu'elles montrent la beauté d'un geste, la lutte pour survivre ou la résistance d'un visage,  ces images mouvantes ne s'actualisent vraiment que dans la promesse d'un mieux vivre ensemble, autrement.